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Le Chant des ronces est sans nul doute un des livres qui évoquent le plus intensément la Corse contemporaine, son lien au passé et son rapport au monde. Par monde il faut entendre les archétypes culturels d’un siècle mourant et ceux d’un siècle naissant avec tout ce que cela peut comporter d’influences sur la culture insulaire. Dans ces écrits sont mis en scène tous les rouages du rapport à soi dans un rapport à l’autre. Et ce, quel que soit l’autre, l’autre disparu, l’autre oublié, et parfois, l’autre étranger. Il y a donc, sans cesse un foisonnement d’éléments, qui, bien qu’en apparence, antagonistes, tels que les notions d’ancien et de moderne  n’entrent pas pour autant en collision. Le fil des récits ne s’opère donc pas au moyen d’une linéarité ennuyeuse mais d’une véritable densité du sensible et du descriptif… Personnages solitaires apprivoisant la pluralité du cosmos, enfance qui renaît au gré de la magie d’un imaginaire né de l’oubli des ruines. Les mythologies locales sont toujours là, sous la surface et entrent en osmose avec le réel. Par mythologie il faut entendre aussi une forme de nostalgie, dans le rapport de l’être au lieu. Tout y passe: les cabanes dans la forêt, le pouvoir enfantin des asphodèles, la recherche d’objets oubliés comme d’antiques trésors, tels qu’un vieux tank légendaire, incongruité de métal dans la poésie végétale. 

Car les oxymores abondent dans cette diversité de narrations. Que ce soit l’évocation d’une sorte de jardin originel où l’on rencontre des morts bien vivants ou des conquêtes d’un soir à la « vulgarité superbe », assises à un coin de table en plastique sous l’immensité, le paradoxe est bien là. Et quoi de mieux que les ronces pour le signifier ?

« Avà ci sò i lamaghjoni », disaient les anciens, tristement, dans un élan proverbial qui a perduré, au sujet d’un lieu autrefois habité qui est presque, ou complètement en ruines et envahi par les ronces. Il est vrai qu’elles prennent possession de la vacuité d’un lieu… De ces béances parfois tragiques qu’elles remplissent tout en les incarnant. Elles symbolisent l’absence qu’elles raccrochent, au moyen d’entrelacs d’arcs et de piquants à d’autres murs, émergeant des méandres d’un opus incertum séculaire, malmené par le temps et l’abandon, pour atteindre la présence des murs occupés, des murs vivants… C’est un pont entre la vie et la mort. Un memento mori. Un souviens-toi, murmuré aux estivants, héritiers d’anciens destins, mais qui ne se les rappellent plus et qui comblent leur vide à eux par la pop culture. Quoi de mieux que le chant des ronces pour faire résonner les Pink floyd sur les teghje ? Ou relier la mémoire minérale d’une rivière aux paroles de Bruce Springsteen ? 

Car chaque récit se termine par des paroles de chansons anglo-saxonnes ou corses, Sea of Sin des depeche mode, dans l’un, l’Eternu des Chjami dans l’autre. C’est d’ailleurs bien d’éternité dont il s’agit, ici. L’éternité qu’on confère à un absent dont on n’a jamais fait le deuil, l’infini au-delà des confins de l’être, celle qui sous-tend le moment le plus insignifiant. Enfin, le caractère de ce qui revient sans cesse en se télescopant avec cet ailleurs, voulu ou non, dans des syncrétismes audacieux qui conjurent pour un temps l’amnésie du silence.

                                                                                                             Béatrice Tozzi

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